Bases de parties : anges ou démons

mardi 23 juillet 2013

Lors du récent tournoi de Vaujany, j'ai été abordé par le père d'un jeune joueur. Il a soulevé un problème qui ne m'avait pas effleuré l'esprit jusqu'à présent (peut-être parce que je ne suis plus un joueur de compétition très actif).

Son point de vue peut se résumer ainsi :
Publier toutes les parties d'un open sur internet, pénalise les participants de ce tournoi en favorisant la préparation de leurs futurs adversaires. Il explique même la légère baisse de participation à ce beau tournoi par rapport à l'année précédente par le fait que toutes les parties jouées se sont retrouvées dans les grandes bases commerciales.

Traditionnellement à Vaujany, les joueurs invités (Maîtres Internationaux et Grand-Maîtres) ont l'obligation de saisir leurs parties pour alimenter un bulletin quotidien. Les amateurs sont invités à faire de même mais très peu le font. Contrairement aux années précédentes, en 2012 toutes les parties jouées ont été saisies après le tournoi (un travail titanesque) et mises en ligne sur le site pour aboutir dans les grandes bases commerciales. C'est cette action coupable qui est dénoncée par le père de ce jeune joueur. On freinerait ainsi la progression de nos jeunes. Il entendait, je suppose, la progression de leur classement Elo.

Une autre conception m'est apparue à l'écoute des courts discours introductifs de chaque ronde prononcé par Jacques Brethé. Cet infatigable organisateur a une haute conception du jeu d'échecs et de sa pratique. Il conçoit le jeu non seulement comme un combat sportif mais aussi comme un moyen de développement personnel et la partie comme une création intellectuelle entre deux intelligences. Les joueurs d'échecs et leurs créations n'auraient pas la reconnaissance qu'ils méritent et la publication de leurs parties comblerait ce manque.

Je n'avais pas non plus envisagé le problème sous l'angle de l'immortalité de l'oeuvre échiquéenne. Un ami joueur d'échecs m'a d'ailleurs fait la remarque suivante : "Tu te rends compte, j'ai une centaine de parties publiées dans les bases de données. Après ma mort, elles y seront encore et pour toujours".

Cette réflexion me remémore une anecdote personnelle. Lors d'une partie m'opposant au Maître Fide canadien Sam Kleinplatz à l'open de Cannes en 1993, j'ai jouée une importante nouveauté théorique 15.b3! contre la Sicilienne Najdorf de mon adversaire. Quelques années plus tard, Anand a attribué la primauté de ce coup à sa partie contre Kasparov jouée à Frankfort en 1998, suite à une idée que lui aurait soufflée Peter Leko. A sa décharge, ma partie contre Kleinplatz n'étant pas référencée dans les bases de données, il ne pouvait pas en attribuer la paternité à un autre. J'aurais pourtant été très fier de voir mon nom associé à une sous-variante de la Najdorf. Il est néanmoins possible que je ne sois pas non plus l'initiateur de ce coup. Un obscur amateur a peut-être eu cette idée bien avant ma modeste personne et le futur champion du monde.

Le compétiteur qui a un grand nombre de parties référencées dans les bases se doit de diversifier son répertoire ou de maîtriser parfaitement ses systèmes d'ouverture. Il est évident que pour le joueur qui consacre sa vie aux échecs, ce travail est plus facile que pour l'amateur qui dispose de moins de temps libre. Le traitement différencié entre le professionnel et l'amateur peut donc se justifier. D'ailleurs, dans la plupart des tournois, seules les parties des premières tables sont publiées. Elles ne concernent le plus souvent que des joueurs titrés.
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