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Carlsen confirme son titre

dimanche 30 novembre 2014

Le championnat du monde d'échecs est l'évènement phare de notre discipline. Il désigne, non seulement le plus fort joueur du monde, mais surtout celui qui va porter l'image des échecs auprès du grand public. Chacun reconnaît que Vishy Anand fût et demeure encore un champion au palmarès exceptionnel mais l'avenir appartient désormais à une nouvelle génération. Magnus Carlsen incarne désormais cette modernité.

Pourtant, les résultats récents du quadragénaire indien laissaient penser que le match revanche serait plus incertain que le précédent. Beaucoup pensaient que les enseignements de la défaite avaient été tirés et que le désormais ex-champion du monde ne tomberait pas sans combattre dans la stratégie d'usure de son jeune rival. Le Norvégien, par une prise de risque minimale et un jeu précis, avait poussé son adversaire à la faute dans de longues fins de partie initialement équilibrées. Pour avoir une réelle chance de reprendre son titre, Anand se devait d'instiller du dynamisme, de la complexité, en d'autres termes de la vie dans chaque partie. Il devait amener son jeune adversaire dans une zone d'inconfort pour lui faire perdre sa tranquille assurance.

La première partie du match semblait aller dans ce sens. Anand s'affubla de pions doublés, faiblesse structurelle à long terme, pour garder l'initiative et la pression sur la position passive de son adversaire. Carlsen, comme à l'accoutumée, se défendit avec précision sans concéder la moindre faiblesse. A la suite d'un jeu pour le moins hasardeux, les pièces dominantes de l'Indien évoluèrent vers une position excessivement passive. Seul un manque de clairvoyance du Norvégien lui permit d'échapper à une première défaite. Cet avertissement sans frais n'augurait rien de bon pour l'Indien.



La seconde partie fût surprenante par le choix de l'ouverture de l'ancien champion du monde. Alors que chacun attendait un début dissymétrique sur la poussée e4, la fameuse défense de Berlin apparût sur l'échiquier. Plutôt que de jouer de façon risquée pour le gain avec les noirs en optant pour une défense Sicilienne, Anand choisissait la sécurité en utilisant le caractère annulant de l'ouverture avec les noirs. Ce choix a du ravir le camp norvégien car le champion du monde exploita remarquablement sa position dominante, accroissant progressivement son avantage sans laisser la moindre chance de contre-jeu à son adversaire. La gaffe finale de son adversaire ne fût que la conséquence de son impuissance.



Carlsen avait ouvert le score bien plus tôt que lors du match précédent. Son adversaire allait-il subir une déroute cuisante ? La troisième partie allait être riche d'enseignements sur la suite du match. Pensant surprendre son adversaire dans l'ouverture, le Norvégien tomba à pieds joints dans la préparation de son adversaire. Dépensant beaucoup de temps dans l'ouverture, il ne fût pas en mesure de résoudre les problèmes complexes qui lui étaient posés sur l'échiquier. Subissant la pression de son adversaire, sa résistance ne fût pas au niveau de ses grandes qualités de défenseur mais sa position était difficile à tenir. En égalisant de fort belle manière, Anand relançait l'intérêt de la rencontre.



Confiant après sa victoire convaincante, Anand opta enfin pour la défense Sicilienne lors de la quatrième partie du match. Carlsen, évitant les grandes lignes théoriques, choisira un système fermé avec fianchetto. La partie évoluera sur un terrain stratégique favorable au Norvégien, mais celui-ci ne parviendra pas à démontrer la faiblesse du pion isolé. Un échec perpétuel viendra conclure cette partie solidement jouée de part et d'autre. La partie suivante fût sans relief. Anand, conduisant les blancs, obtiendra une position dominante mais relâchera la pression sur son adversaire en finale.

La dramatique sixième partie fût le véritable tournant du match. Les deux joueurs nous gratifieront d'un double aveuglement assez rare à ce niveau de jeu. En défense, Anand ne profitera pas d'une bévue de son adversaire et, sous le choc, ne parviendra pas à contenir la pression des pièces blanches sur sa position.



Je ne sais pas quel a été le discours dans le camp de l'Indien après cette partie au résultat cruel mais je suppose que ses secondants ont mis en exergue la grossière bévue du champion du monde, révélatrice d'une certaine fragilité dans le jeu actuel du Norvégien. Une autre opportunité pourrait se présenter avant la fin du match.

Conduisant à nouveau les noirs dans la partie suivante, l'Indien se devait de surmonter le choc psychologique causé par la perte de la partie précédente. Il opta pour la solide variante de Berlin sur l'Espagnole de son adversaire. De toute évidence, sa stratégie était de neutraliser la partie en attendant des jours meilleurs. Bien qu'il fût contraint de sacrifier une pièce pour seulement deux pions, il fit preuve d'une grande ténacité en défense. Dans son style d'usure habituel, Carlsen tenta de faire craquer son adversaire. Avec beaucoup d'assurance, Anand parvint à avancer un pion jusqu'à la troisième rangée, démontrant de fort belle manière qu'il ne jouait pas simplement pour annuler et qu'il était désormais à l'affût de la moindre erreur. Le Norvégien dut faire preuve de précision pour éliminer les pions adverses et atteindre la finale Tour et Cavalier contre Tour. Beaucoup pourraient penser, qu'à ce niveau de jeu, cette finale ne méritait pas d'être jouée sur l'échiquier mais souvenons-nous, qu'il y a quelques années, Judit Polgar avait perdu une finale de ce type contre un certain Garry Kasparov. A ce propos, je vous invite à relire mon billet du 4 novembre 2012 qui traite ce sujet. En proposant l'échange des Tours après seulement dix-huit coups, il est étonnant que le Norvégien n'ait pas joué la finale jusqu'à son terme.

Après le marathon de 122 coups de la veille, la partie suivante fût plutôt fade. Anand ne parvint pas à poser de véritables problèmes à son adversaire. Les simplifications amenèrent une finale symétrique sur l'échiquier. La partie nulle fût conclue permettant au Norvégien de maintenir son avantage d'un point.

La neuvième partie démontra une fois de plus que, même s'il était tombé politiquement vingt-cinq ans plus tôt, le mur de Berlin était encore difficile à franchir aux échecs. N'ayant rien obtenu de l'ouverture, le champion du monde provoquera une répétition de coups qui semblait convenir aux deux joueurs. Carlsen franchissait une marche de plus vers la conservation de son titre et Anand restait dans la course en misant sur les pièces blanches dans deux des trois parties restantes.

Dans la partie suivante, comme lors de la première partie du match, Carlsen opta pour la défense Grünfeld. Un tel choix promettait une partie vivante. Son traitement de l'ouverture ne fût pas exemplaire mais son adversaire ne parvint pas à exploiter l'avantage que lui procurait un dangereux pion passé sur la colonne d. Sous la pression du temps, Anand força des simplifications et la partie nulle fût rapidement conclue.

La onzième partie fût encore plus dramatique que la sixième. Mené d'un point avec seulement deux parties à jouer, Anand se devait d'entreprendre et de saisir la moindre occasion. La défense de Berlin de l'Espagnole n'est certainement pas le choix le plus agressif pour ambitionner un gain avec les noirs mais la complexité stratégique du milieu de jeu permis à l'Indien de prendre l'initiative. La poussée du pion en b5 cassant la structure de pions à l'aile Dame fût le signe du basculement de la partie en faveur du challenger. Malheureusement, sans doute influencé par sa situation dans le match, il précipita les évènements en sacrifiant la qualité. Lors de la conférence de presse, il avouera ne pas pouvoir expliquer ce choix. Cette mauvaise évaluation des compensations le conduira dans une position inférieure, sans véritable contre-jeu. A l'inverse de son adversaire, Carlsen maîtrisera parfaitement ses nerfs et fera une nouvelle fois la démonstration d'une implacable précision dans la réalisation de son avantage. "Je crois au matériel" affirmera-t'il en conférence de presse. Cette victoire lui apporta le point décisif et conclut le match sur le score de 6,5 à 4,5. Le jeune Norvégien venait de confirmer un titre conquis il y a à peine un an.



Je crains de ne pas me tromper en affirmant que ce championnat du monde est passé totalement inaperçu des grands médias télévisuels et radiophoniques français. Comme l'ancien champion du monde Anatoly Karpov l'a souligné lors d'un récent entretien, la victoire du jeune et charismatique Carlsen était souhaitable pour favoriser le développement des échecs, reconnaissant que Vladimir Kramnik et Vishy Anand avait peu oeuvré en ce sens pendant leur règne. Souhaitons qu'une nouvelle génération prenne le pouvoir même si je me suis réjoui lorsqu'Anand a affirmé ne pas songer à prendre sa retraite sportive.

La photographie qui illustre ce billet est tirée de la galerie du site officiel et a été prise par Anastasia Karlovich.

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